Les nouveaux modes d’organisation du travail et le développement des technologies ont entraîné des contraintes émotionnelles et cognitives importantes. Conséquence : les problèmes de santé mentale au travail se font plus prégnants. A l’occasion de la Journée mondiale sur la sécurité et la santé au travail du 28 avril, Fabienne Muller et Nicolas Moizard, enseignants-chercheurs à l'Institut du travail et membres de l’équipe de droit social (UMR DRES), reviennent sur l’intégration de cette problématique dans le droit.
24/04/2017
Comment le droit s’est saisi de cet enjeu qu’est la santé mentale au travail ?
Nicolas Moizard : Initialement, le droit français était très axé sur l’hygiène et la sécurité. Mais il a évolué sous l’influence du droit européen qui a retenu une conception plus globale de la santé à partir des années 1980.
Fabienne Muller : L’OMS définit en effet la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Un des principes qui a été décliné de cette définition, c’est que l’employeur doit assurer la santé physique mais également mentale de ses salariés.
Comment cela se concrétise-t-il ?
N.M. : Le code du travail s’est enrichi de prescriptions prenant en compte un certain nombre de dimensions intervenant sur la qualité de vie au travail et la prévention des risques.
F.M. : C'est une notion qui suppose une articulation du temps entre vie professionnelle et vie privée, une acceptation du droit à la déconnexion, de la prévention du harcèlement moral ou sexuel. Elle implique aussi une prévention du stress au travail et des risques psychosociaux associés. Ces problématiques émergent de plus en plus dans les contentieux, et de célèbres affaires ont permis aux juges de rappeler aux employeurs leur obligation de prévention des risques psycho-sociaux qu'ils soient liés à un plan social, une restructuration, ou une méthode de management.
Les salariés sont-ils suffisamment protégés aujourd’hui ?
N.M. : Si on appliquait tout ce qu’il y a dans les textes, on arriverait à quelque chose d’assez efficace. Mais il faudrait d’abord que les entreprises aient toutes les institutions que le code du travail leur impose. Toutes n’abritent pas un Comité d’hygiène, sécurité et des conditions de travail, y compris lorsque c’est obligatoire à partir du seuil de 50 salariés. Cette instance représentative est censée mener des expertises et des enquêtes pour évaluer ces risques et demander à l’employeur de les prendre en compte dans sa gestion et son management. Il faudrait ensuite que ces instances puissent réellement exercer leurs attributions. Trop souvent, les personnes élues ne sont pas en mesure de mettre en œuvre leur expertise ou un contrôle des décisions de l’employeur.
F.M. : Les contentieux liés aux atteintes à la santé mentale vont croissants ce qui indique un mal être au travail. Les salariés essayent d'agir tant devant le conseil de prud'hommes pour obtenir réparation que devant les juridictions de sécurité sociale ; dans ce dernier cas, afin de faire reconnaître leur état de santé comme relevant d'une maladie professionnelle. Mais les atteintes à la santé mentale ne figurent pas dans la liste des maladies professionnelles bénéficiant d'une présomption de reconnaissance, ce qui suppose d'agir dans le cadre d'une expertise individuelle plus longue et plus complexe. Ces contentieux indiquent en tous les cas que les entreprises n'ont pas mis en place des politiques de prévention des risques liés à la santé mentale.
Justement, comment les entreprises répondent à cette évolution du droit sur la santé mentale? Quelles mesures concrètes mettent-elles en place ?
N.M. : Les entreprises doivent analyser les processus de travail dans leur globalité. Cela peut être le cas dans l’hypothèse de restructurations ou de mise en place d’entretiens annuels d’évaluation, sources de stress. Dans les récents accords d’entreprise sur la qualité de la vie au travail, il est souvent prévu des formations des managers, des procédures d’alerte et plus d’échanges entre les salariés et la hiérarchie sur les conditions de travail. L’ambiance de travail est aussi importante. La lutte contre les agissements sexistes va en sens.
Où se situe la France sur ces questions par rapport à d’autres pays européens ?
N.M. : Relevons d’abord que les Etats européens sont tous marqués par les directives de l’Union européenne. Au-delà de ce cadre commun, il est difficile de faire une comparaison, tant les règles sociales sont marquées par des cultures juridiques distinctes.
Propos recueillis par Ronan Rousseau