Sorcellerie, entre ville et campagne, quelle différence ?

17/05/2018

La chasse aux sorcières s’est-elle arrêtée aux portes de la ville ? En menant l’enquête sur cette période troublée qui a principalement duré du 15e au 17e siècle, les chercheurs ont constaté que les habitants des villes accusés durant les procès de sorcellerie étaient moins nombreux que ceux des campagnes. Une réflexion qui a mené à la rédaction de l’ouvrage La sorcellerie et la ville, rédigé sous la direction d’Antoine Follain et Maryse Simon, membres du laboratoire arts, civilisation et histoire de l’Europe.

Dieu et le Diable existent. Pour tous, le monde est magique. Pourtant, ruraux et citadins ne sont pas égaux face à la sorcellerie liée dans l’inconscient collectif au monde des bourgs et des campagnes. Partant de ce constat, une dizaine de chercheurs se sont penchés sur les spécificités du contexte urbain à travers un colloque en 2013 synthétisé dans un livre La sorcellerie et la ville (Presses universitaires de Strasbourg), en 2018.

Un côté pécuniaire à la ville

La première différence entre ville et campagne concerne les pratiques. En ville ces dernières sont essentiellement tournées vers la magie, la divination ou l’ensorcèlement. « Il y a même des chercheurs de trésors. Gagner de l’argent avec l’invocation d’esprits, répond à une demande plus urbaine que rurale. On observe aussi des cas de possession, un phénomène quasi-typiquement urbain lié à la présence de couvents. » A la campagne, la sorcellerie acquiert une dimension plus attendue dans un contexte marqué par une dangerosité perçue comme permanente venant de l’homme et de la nature.

Escroquerie vs crime

Mort d’une vache, foudre qui s’abat sur un champ, à la campagne les accusations sont plus graves et souvent liées à des catastrophes naturelles et à la mort. Pour la victime, il faut un coupable et une explication toute trouvée : la sorcellerie. « En ville, les problématiques sont différentes et les préoccupations des accusateurs ne sont pas les mêmes. » Les procès de sorcellerie portent ainsi plus sur un abus de crédulité des riches et les arnaques comme celle au philtre d’amour. « La réception est différente de la part du système judiciaire », souligne Maryse Simon qui s’est penchée sur le cas de la ville de Paris où elle passe ses congés à éplucher l’ensemble du registre des écrous pour traquer les crimes de sortilège.

Education vs superstition

Autre différence : celle des mentalités. Les paysans seraient, selon Nicolas Rémy, démonologue et procureur général, plus facilement susceptibles de tomber dans les griffes du démon en raison de leur crédulité. En ville, les habitants sont plus éduqués, « l’élite citadine dénigre d’ailleurs la superstition supposée des paysans. »

Anonymat vs surveillance généralisée

Le microcosme de la campagne, où tout le monde se connait et se surveille, est également plus favorable aux dénonciations, première étape sur la voie des procès de sorcellerie. « Lorsque quelqu’un de nouveau s’installe, il doit le justifier. En ville, il y a plus de brassage, ça interroge le cœur de la perception de notre monde. »

Ces pistes de recherche posent les jalons d’une réflexion qui n’en est qu’à ses débuts. Une suite regroupant les autres interventions du colloque viendra compléter l’ouvrage sous forme de numéro spécial de la revue Sources. La sorcellerie n’a pas encore livré son dernier sortilège.

Marion Riegert

Trois idées reçues

Histoire des religions, médecine, droit… la sorcellerie se situe à la croisée de beaucoup de domaines. Maryse Simon nous livre trois idées reçues sur ce sujet toujours à étudier par les chercheurs.

La chasse aux sorcières n’a pas débuté au Moyen Age mais au 15e siècle. « On recense le plus grand nombre de procès de 1550 à 1650. Louis XIV y mis fin en 1682 même s’il y eut tout de même des cas tardifs comme celui de Bergheim en 1683. La Russie, elle, a prolongé les procès jusqu’au 18e siècle. »

Les procès ne sont pas uniquement dus à l’inquisition. « L’inquisition possède une hiérarchie qui dépend du pape. Il y a des pays d’inquisition. Là où elle se trouve, il y a paradoxalement moins de procès car elle ne s’intéresse pas à celles qui sont considérées comme de vieilles bonnes femmes superstitieuses mais aux pensants, à la vraie sorcellerie démoniaque. Dans les pays où elle n’est pas présente, les actes de sorcellerie sont dénoncés à la justice laïque sous l’impulsion des démonologues, les théoriciens de la chasse aux sorcières. Dans ce cas, les prêtres n’ont pas pouvoir de condamnation même si le prêche incite à surveiller et à dénoncer dans les églises. »

L’accusée était rarement une vieille femme avec une verrue au bout du nez et un chaudron. « Il y avait aussi des accusés jeunes, des mariés, des hommes sans forcément de tare physique. Ce n’est pas la vieille isolée vivant au fond des bois. Cette image résulte de la superposition de l’archétype raciste et antisémite de l’image de la vieille femme juive de la période contemporaine avec son fichu et son gros nez représentée dans les illustrations des contes de Grimm. »

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