Eric Geoffroy, chercheur au sein du groupe d’études orientales, slaves et néo-helléniques, étudie les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Ayant pratiqué diverses religions, et actuellement adepte de la voie soufie, il confronte la méthode d’étude des sciences humaines à une approche intérieure.
19/12/2018
« Les grandes phases spirituelles sont toujours arrivées en période de crise. » Pour Eric Geoffroy, les présupposés matérialistes avec lesquels la modernité européenne est née au XVIIe siècle doivent prendre fin. « Nous fonctionnons sur ces leurres. On voit bien que les solutions politiques et économiques sont insuffisantes. Les politiques que j’ai rencontrés en sont conscients mais ne savent pas comment changer les choses. Tous les représentants spirituels disent qu’il y a urgence », souligne le chercheur qui voit la spiritualité comme un moyen de ne pas limiter sa vision du monde et de soi à une seule dimension, la dimension matérielle.
« En France, on croit souvent que la spiritualité est une bulle hors sol, hors du champ social, parfois on la compare à la mystique. En réalité la spiritualité est un surcroit de conscience, élever son niveau de conscience pour élever celui de l’humanité », poursuit Eric Geoffroy qui précise que cette démarche se joint souvent à une quête de sens dans un monde mondialisé où les repères religieux sont partis. « Avec le clonage, l’intelligence artificielle, nous sommes en train de changer l’humanité. En parallèle, trop d’humains subissent leur vie. Travail, maison… nous voyons un public qui ne se satisfait plus de ce qu’on lui propose parce qu’il voit ce qui se passe dans le monde. »
Le marché du spirituel
Cette quête de sens ne s’inscrit plus forcément dans les courants religieux traditionnels et institutionnalisés souvent dépréciés et peut prendre des formes diverses comme un engagement humanitaire. « On reproche souvent aux monothéismes d’avoir permis aux hommes de maitriser la nature, et de l’avoir ainsi détruite… », détaille le chercheur notant par ailleurs que la psychanalyse qui pouvait servir de pseudo-religion est également critiquée. « Depuis 10, 15 ans, on observe une polarisation entre d’une part le retour des intégrismes et d’autre part l’apparition d’une spiritualité laïque qui se situe hors des courants religieux institués. Par exemple, le chamanisme, très tendance actuellement.»
Développement personnel, méthodes spirituelles venues d’orient comme la méditation ou le yoga qui sert à se relier à Dieu dans la tradition hindoue. « L’occident s’approprie ces méthodes pour en faire une technique corporelle et psychique. Chacun fait un peu son marché spirituel. » Mais quel que soit le dogme, l’expérience spirituelle passe par la même méthode : « se déconditionner, se désidentifier et retrouver une conscience de notre interdépendance, avec la nature notamment. »
Spiritualités anciennes et physique quantique
Eric Geoffroy souligne que la spiritualité doit susciter la sagesse en terme de miséricorde (islam) ou de compassion (bouddhisme), donner du recul. « Ce n’est pas chercher une échappatoire à notre réalité mais plutôt comprendre l’humain, s’ouvrir à l’universel et ne pas être dans la pensée unique comme c’est le cas des djihadistes (si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous). Les maitres spirituels sont des personnes très incarnées, très pragmatiques et de fins psychologues.»
Travaillant parfois avec des scientifiques, physiciens et autres astrophysiciens, le chercheur note un lien étroit entre certaines spiritualités anciennes (bouddhisme, soufisme…) et la physique quantique. Celle-ci, à l’instar des traditions spirituelles, dématérialise la matière. « Pour les physiciens, cette table devant nous existe mais elle n’« est » pas. La physique quantique suppose également l’existence de l’interdépendance. L’égoïsme est donc un leurre, soit nous trouvons une solution ensemble ou nous coulons ensemble… »
Marion Riegert