Sur les traces de la cosmologie de Descartes

28/01/2021

Édouard Mehl, professeur de philosophie moderne et directeur éditorial des Presses universitaires de Strasbourg, a reçu le Grand prix Moron de l’Académie française pour son ouvrage « Descartes et la fabrique du monde. Le problème cosmologique de Copernic à Descartes », qui résume plus de 10 années de recherches sur le sujet.

Lorsqu’il reçoit le prix, en novembre 2020, Édouard Mehl, chercheur au Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine, ne s’y attend pas du tout. « Je l’ai appris en réunion, lorsqu’un collègue m’a envoyé ses félicitations. Ce fut une surprise totale, j’ignorais que le livre avait été présenté. » Issu d’un travail réalisé pour une habilitation à diriger des recherches en 2013, l’ouvrage paraît aux Presses universitaires de France en mai 2019.

« Le temps long de la recherche », glisse Édouard Mehl, évoquant « une espèce de ressassement productif ». « La philosophie ne progresse pas par de nouvelles découvertes mais par l’approfondissement de problèmes : c’est une activité de ruminant, comme disait très bien Nietzsche », poursuit le chercheur qui soutient sa première thèse en Sorbonne en 1999, déjà consacrée à Descartes. Au sortir de sa licence, quelques années plus tôt, il rêvait de travailler sur Hölderlin et la France, mais son directeur, Jean-Luc Marion, lui laisse plutôt le choix entre Aristote, Descartes et Kant. Ce sera Descartes.

Un ouvrage « aussi difficile qu’exigeant »

« Descartes… Je lui ai fait des infidélités en l’étudiant de manière décalée dans le contexte allemand, pays où il débute sa carrière par des voyages. » C’est là qu'il découvre une actualité scientifique intense, où émerge la figure imposante de Kepler, qui devient vite l’autre figure centrale de la recherche d’Édouard Mehl. « Il fallait regarder s’ils s’étaient rencontrés, où et quand », raconte le chercheur qui confie avoir passé beaucoup de temps au fond d’obscures bibliothèques des provinces allemandes.

L’ouvrage de 2019 reprend cette recherche en l’élargissant. Décrit comme « aussi difficile qu’exigeant » par Barbara Cassin, de l’Académie française, il a notamment pour objectif de relire l’œuvre de Descartes à la lumière de la découverte cosmologique annoncée, presqu’un siècle auparavant, par l’œuvre de Copernic.

Réconcilier science et Eglise

« Je veux montrer que la cosmologie est au point d’intersection et de rencontre entre la philosophie, la science (mathématique, physique et astronomie) et la théologie. Descartes prétend que l’objet de la physique, qu’il appelle "l’étendue" correspond exactement à ce que les théologiens nomment, eux, le firmament dans le récit de la Genèse. Malgré le fouillis des significations, une juste compréhension des textes permettra de retrouver cette unité et de résoudre le grand conflit de l’époque entre l’Église et les partisans de Copernic. » La force de Descartes, estime Édouard Mehl, c’est qu’il s’est peu impliqué dans la question de la mobilité de la Terre, et qu’il a cherché ailleurs, à un niveau plus fondamental, la solution au problème qui divise toute son époque.

Prochaine étape : étudier plus en profondeur des notes inédites de Kepler dénichées dans une bibliothèque allemande, qu’Édouard Mehl cherchait depuis longtemps. « La philosophie est une épreuve d’endurance : il faut du temps pour pénétrer dans l’intelligence d’un problème. Sans ce temps long de la recherche, sans cette liberté, on ne produit rien d’autre que ce que l’on attend de nous, c’est-à-dire ce que l’on sait déjà », souligne le philosophe qui s’inquiète de voir les carrières des chercheurs « sacrifiées sur l’autel de la rentabilité à court terme. L’université est le lieu où l’on a cette liberté. C’est une chance unique, incomparable. Il faut tout faire pour la préserver ».

Marion Riegert

Plus d'informations

Prix annuel de philosophie de l'Académie française, créé en 1987, le Grand prix Moron de la fondation Renaudin est attribué à « l’auteur français d’un ouvrage ou d’une œuvre favorisant une nouvelle éthique ». Ce prix de 5 000 euros ne peut pas être partagé.

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