Trois chercheurs enquêtent sur la vision des fantômes

11/07/2018

Spectres, orbes, ectoplasmes, du palpable à l’impalpable, Francesco D’Antonio, Catherine Schneider et Emmanuelle Sempère, enseignants-chercheurs, se sont intéressés dans leur ouvrage Voir des fantômes à une figure bien connue de nos sociétés. À travers 26 études dans différentes disciplines, ils montrent que ce sujet parfois difficile à aborder dans le monde de la recherche peut être traité de manière scientifique.

Une étude interdisciplinaire

« C’est officiel, nous ne croyons pas aux fantômes ! », sourit d’emblée Francesco D’Antonio. L’ouvrage Voir des fantômes propose une approche interdisciplinaire faisant dialoguer les études littéraires et artistiques avec les connaissances historiques, anthropologiques et linguistiques en synchronie et en diachronie. Genres dramatiques, mise en scène, fictions littéraires, arts visuels, manifestations sonores et champ de l’inconscient, les 26 études proposées sont organisées en cinq sections qui correspondent à des points d’observation spécifiques de la vision fantomale.

Au théâtre, une figure possédant tous les pouvoirs

Lié à la question du mystère et du merveilleux, le fantôme est d’abord abordé à travers deux sections consacrées au théâtre. Il y apparait comme une figure intermédiaire entre le monde des vivants et le monde des morts, entre celui des dieux et celui des hommes. Mis en scène dans des représentations qui ont une fonction culturelle et religieuse, le fantôme évolue ainsi dans un espace de liberté à la croisée des deux mondes lui conférant tous les pouvoirs possibles. Une extrême liberté scénique qui permet de faire avancer l’action et souvent de l’organiser. Figure ambivalente à la fois comique et tragique, le fantôme peut être le personnage principal ou le metteur en scène de l’action. Dans le théâtre Antique, il a parfois une dimension collective.

En littérature, les fantômes de la violence historique

Une troisième section consacrée à la littérature narrative s’intéresse à la constitution du vocabulaire de la vision du fantôme. Elle commence par une étude du lexique spécifique de la spectralité moderne né à la Renaissance, avant de s’intéresser aux fictions humanistes montrant notamment comment le scepticisme s’accommode d’un goût pour les histoires de fantôme. Au 19e siècle, le fantôme est expérience intime, rencontre avec l’invisible, le désir et l’effroi. Une apparition qui suscite des questionnements métaphysiques et ontologiques dans une période marquée par la féminisation du fantôme à l’image de celui de la femme aimée. Autres fantômes étudiés : ceux de la violence historique propre au 20e siècle. Ils permettent de convoquer une mémoire traumatique et invitent à s’interroger sur l’histoire. « On retrouve par exemple les fantômes comme caractérisation de la mémoire de la Shoah dans la pièce Les cannibales de George Tabori (1968) », note Emmanuelle Sempère.

De la technologie à la psychologie

L’ère moderne et le développement des technologies ouvrent de nouvelles perspectives notamment dans la représentation du fantôme avec l’utilisation de la voix-off. Côté visualisation, photographie, phonographie ou cinématographie sont autant de nouvelles techniques envisagées comme moyen d’enregistrer des vibrations extra-sensorielles à l’image des orbes. La section 4 s’intéresse ainsi au renouvellement de l’iconographie spectrale et notamment la mise en scène des fantômes et de la figure du médium spirite dans le cinéma contemporain. Avec un point sur les expérimentations du célèbre inventeur Thomas Edison menées à la fin de sa vie pour entrer en communication avec les morts. Magie, médecine, psychiatrie, la section 5 propose enfin une étude des manifestations spectrales comme symptômes et pathologies. Et après ? Les trois passionnés ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et envisagent de réaliser un deuxième volume consacré aux espaces hantés.

Marion Riegert

Pour aller plus loin : écouter aussi l’interview d’Emmanuelle Sempère réalisée par la radio suisse RTS

Genèse du projet

Good to know

Alors qu’elles travaillaient sur le sujet, Catherine Schneider, membre de l’équipe d’accueil du Centre d’analyse des rhétoriques religieuses de l’Antiquité (Carra) et Emmanuelle Sempère, chercheuse au sein de l’équipe d’accueil Configurations littéraires, se sont rendu compte qu’elles avaient toutes les deux identifié les mêmes représentations du fantôme. Une figure présente dans toutes les disciplines, mais difficile à aborder. Francesco D’Antonio, membre de l’équipe d’accueil Culture et histoire dans l’espace roman (Cher) est venu rejoindre le duo pour la partie théâtre. De cette rencontre est né un cycle de conférences de deux ans et demi qui a abouti à un colloque réunissant 26 chercheurs en octobre 2015. La publication de l’ouvrage Voir des fantômes a suivi naturellement. « Nous tenions à diffuser nos recherches au grand public », conclut Emmanuelle Sempère.

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