Kirsten Esch, petite fille du doyen de la faculté de médecine nazie, a croisé le chemin de la commission historique qui effectue des recherches sur la faculté de médecine de la Reichsuniversität. Le tout, afin de réaliser son documentaire, L’université de Strasbourg sous le IIIe Reich, diffusé à l’UGC Ciné Cité le 31 mai et sur Arte le 5 juin 2018. Décryptage avec Christian Bonah, membre de la commission qui a participé au documentaire.
28/05/2018
Trois réalisateurs sont récemment venus tourner dans les murs de l’Université de Strasbourg pour parler notamment de la Reichsuniversität. Parmi eux, Kirsten Esch a choisi de collaborer avec la commission historique constituée par l’université. Présidée par deux spécialistes étrangers, cette commission indépendante composée d’experts britanniques, français et allemands a été mise en place pour quatre ans en septembre 2016.
Un fond documentaire numérisé
Sa mission ? « Etablir un diagnostic des pièces présentes dans les collections de l’université. Mieux comprendre la mise en place, le fonctionnement et la continuité de cette faculté de médecine, de ses employés et de ses usagers (victimes incluses) », précise Christian Bonah, directeur du département d’Histoire des sciences de la vie et de la santé (DHVS) et membre du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe qui compte parmi les quatre experts de l’Université de Strasbourg.
Pour mieux comprendre le fonctionnement de la Reichsuniversität , Kirsten Esch est venue à Strasbourg et a rencontré les chercheurs de la commission. Ces derniers s’attachent à regrouper tous les documents concernant la faculté de médecine de la Reichsuniversität que ce soit des données produites par ses membres ou émanant de recherches historiques sur le sujet. « Nous lui avons fourni des documents dans les limites de ce que nous pouvions rendre public car la commission avait décidé de ne pas communiquer pendant son travail », souligne Christian Bonah qui s’intéresse notamment dans le cadre de ses recherches à l’histoire des procès médicaux français.
Le journal intime de l’épouse du doyen Johannes Stein
Un échange bénéfique pour la réalisatrice mais aussi pour la commission. Et pour cause, Kirsten Esch est la petite fille du doyen de la faculté de médecine de la Reichsuniversität. « Elle possède des archives sur cette époque qu’elle a partagées avec nous parmi lesquelles le journal intime de l’épouse du doyen Johannes Stein. » Des documents précieux pour la commission qui peine parfois à exhumer les archives de la Reichsuniversität dont le fond n’a jamais été inventorié. « En 1944 lors du départ des nazis, il y a eu une destruction massive et volontaire de la part des acteurs, sans parler de la confiscation d’une partie de la documentation restée sur place par les services de renseignement à la fin de la guerre », explique Christian Bonah évoquant un énorme puzzle.
Kirsten Esch a ainsi cherché à faire un film qui entre en dialogue avec les chercheurs dans une perspective proche du travail d’un historien. « Je trouve cela intéressant qu’elle ait pris le temps dans un monde où le temps est cher et rare », ajoute Christian Bonah qui attend la diffusion du documentaire intitulé L’université de Strasbourg sous le IIIe Reich avec un mélange d’appréhension et de curiosité. Rendez-vous le 31 mai à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg (complet) et le 5 juin sur Arte. Avis aux amateurs…
Marion Riegert
Genèse de la commission historique : « Un travail scientifique »
Good to know
« Depuis longtemps tout le monde s’accorde à dire que nos connaissances sur l’histoire de la Reichsuniversität Strasbourg et en particulier celle de la faculté de médecine sont loin d’être satisfaisantes. En Allemagne, des institutions comparables effectuent un travail d’enquête sur le sujet depuis les années 70», explique Christian Bonah. Une carence alsacienne qui peut s’expliquer par l’histoire particulière de la région.
En 1996, une thèse est tout de même publiée sur l’histoire de la faculté de médecine de la Reichsuniversität. Deux ans plus tard, un livre parait sur l’histoire de la médecine à Strasbourg. Sans oublier les initiatives du cercle Menachem Taffel et en 2010, une thèse de Raphael Toledano sur le professeur de batériologie Eugen Haagen de la Reichsuniversität. Le sujet est également rendu visible par l’ouvrage de Michel Cymes, Hippocrate aux enfers paru en 2015. Ces publications poussent l’Université de Strasbourg à s’emparer de la question avec la création d’une commission historique par Alain Beretz, alors président de l’université. « Pour nous, la meilleure manière de traiter ce sujet sensible était de réaliser un travail scientifique », souligne Christian Bonah. Outre un fond documentaire numérisé, à terme, la commission souhaite produire un rapport final sous forme de livre. Sans oublier la création d’un wiki modéré et adapté concernant les personnes en lien avec la faculté de médecine. « Il s’agira d’une publication digitale évolutive, gratuite et accessible à l’ensemble de la population. »