L’idée lui trottait dans la tête depuis 2011 et son retour du Japon. Six ans d’écriture et deux ans de corrections plus tard, Cédric Sueur, primatologue et éthologue à l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, sort sa première fiction : Kamikaze Saru – le singe cobaye. Une enquête qui invite le lecteur à s’interroger sur l’éthique et l’expérimentation animale.
10/01/2022
« Ce fut un projet assez long à accoucher. En 2016, j’ai ouvert un master sur l’éthique et les droits de l’homme. En tant que chercheur j’ai été critiqué par des confrères qui pensaient que l’éthique animale était forcément contre l’expérimentation et inversement, les associations pensaient que j’étais pour… », raconte Cédric Sueur qui souhaite à travers ce polar faire comprendre les enjeux de la recherche animale mais aussi des associations. « Et ce sans parti pris afin que chacun puisse se faire son propre avis. »
Pour ce faire, il mise sur la fiction. « Lorsque je me suis rendu dans une célèbre enseigne pour acheter un livre en éthologie, j’ai été emmené dans un recoin du magasin. Je souhaitais m’ouvrir à un autre public, toucher des personnes pas forcément déjà intéressées par le sujet », précise l’éthologue.
Eviter l’anthropomorphisme
L’histoire ? Une bombe explose dans un laboratoire de Tokyo, trois militants d’une association anti-expérimentation animale sont tués. Une enquête est menée par deux inspecteurs. Avant d’être interrompus par des agents du ministère de la défense, ces derniers découvrent que les expériences sont effectuées sur des primates irradiés durant la catastrophe de Fukushima en vue de trouver des traitements.
L’ouvrage, alternant chapitres d’enquêtes et chapitres présentant le point de vue des primates, permet notamment de se mettre à la place d’un éthologue et ainsi comprendre que la perception du monde est différente en fonction des espèces. « Quand j’entre dans le point de vue des macaques, j’essaie d’utiliser des mots qui ne sont pas empreints d’anthropomorphisme. Par exemple, je ne parle pas d’explosion ou de feu, mais de créatures de lumière. De même, les macaques appellent les humains les sans-poils. »
Une expérience de vie acquise depuis 15 ans
Quant au choix du Japon, il ne s’est pas fait par hasard. L’éthologue y a séjourné un an et y retourne régulièrement. « J’étais sur place lorsqu’il y a eu la catastrophe nucléaire. J’ai notamment suivi les études sur les macaques japonais. » Certains passages et personnages sont inspirés des rencontres du chercheur. « Il y a toute une expérience de vie acquise depuis 15 ans. Situer l’intrigue en France aurait pu poser problème, le Japon me permet de mettre l’histoire dans un autre contexte », explique Cédric Sueur qui met à disposition les références scientifiques utilisées, une centaine au total, sur internet.
L’occasion aussi de montrer que la façon de penser l’animal dans la recherche est assez différente en fonction des pays. Il cite l’exemple repris dans le livre d’une cérémonie réalisée chaque année au Japon pour rendre hommage aux animaux sacrifiés dans le cadre de l’expérimentation animale. Sacrifice auquel fait notamment référence le titre de l’ouvrage.
Et vous dans tout ça, pour ou contre l’expérimentation animale ? « Je ne suis ni pour ni contre. Comme dirait Georges Chapouthier, neurobiologiste, je suis contre l’expérimentation animale, mais aujourd’hui on en a encore besoin. Il faut faire attention à ce que l’on fait, quelle expérience est réalisée sur quelle espèce. Toute recherche n’est pas légitime pour moi. Il y a une différence entre tuer 5 000 souris pour traiter la calvitie, et mener des études sur des macaques pour permettre à des personnes dont la moelle épinière a été sectionnée de remarcher », conclut Cédric Sueur qui a déjà d’autres idées en tête comme un livre dans lequel l’éthologue qu’il est dialoguerait avec un bouddhiste sur l’éthique animale.
Marion Riegert