Un sursaut de chiralité

20/04/2020

Une équipe de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS) a découvert le premier exemple d’effet non linéaire dit «hyperpositif» en catalyse asymétrique. Cette avancée pourra bénéficier à la recherche fondamentale en chimie mais aussi à la compréhension de processus de synthèses chimiques, notamment pour des médicaments plus performants.

La chiralité est une propriété qui est présente partout dans la nature. Du mot « chyros » en grec, qui signifie la main, deux molécules chirales sont images l'une de l'autre dans un miroir, mais ne sont pas superposables : nos mains sont chirales.

La chiralité est une propriété qui existe à toutes les échelles de grandeur et les formes chirales nous entourent sans que nous en soyons toujours conscients. En chimie, la chiralité se retrouve dans de nombreuses molécules. L’être humain lui-même est composé de ces molécules : nos acides aminés notamment sont tous chiraux.

A l’image de nos mains, les molécules chirales sont composées de deux moitiés non superposables qu’on appelle les énantiomères. Dans un médicament chiral, l’un des énantiomères peut être bénéfique alors que l’autre est neutre, voire néfaste. « Dans les années 70, un médicament -le Thalidomide- qu’on donnait aux femmes enceintes, était une molécule chirale. Un des deux énantiomères avait une propriété sédative alors que l’autre induisait des malformations chez le fœtus », raconte le chercheur. Cette découverte avait à l’époque provoqué un scandale dans le monde médical et a depuis rendu obligatoire l’analyse des effets des énantiomères séparés.

La variation de la proportion du nombre d’un type d’énantiomère par rapport à l’autre dans une même molécule peut radicalement changer ses effets. « Si vous prenez l’odeur du citron et de l’orange, il s’agit de la même molécule, mais d’énantiomères différents », illustre Stéphane Bellemin-Laponnaz.

La nature et l’homochiralité du vivant

« La nature a fait le choix de la chiralité et elle a opté pour que ses éléments moléculaires soient issus de la même main », poursuit le chercheur. Ainsi nous vivons dans un monde chiral où la nature a construit la vie en choisissant des briques moléculaires dites « homochirales ». Cette rupture de symétrie fait partie des énigmes qui fascinent les scientifiques et n’ont pas encore trouvé de réponse.

A partir de cette asymétrie de départ, dont l’origine demeure inconnue, l’écart entre les proportions d’énantiomères a continué d’augmenter. « Cette amplification est un phénomène qui intéresse énormément les chimistes », souligne Stéphane Bellemin-Laponnaz. Son équipe et lui cherchent à comprendre les mécanismes de cette amplification. Un des mécanismes principaux retenu par la communauté scientifique est la catalyse.

Un catalyseur chiral peut produire des molécules chirales. Reste à comprendre comment il peut influencer les proportions d’énantiomères à l’intérieur des molécules produites. « Nous étudions la chiralité du catalyseur et ce qu’elle induit dans la chiralité du produit composé », résume le chimiste.

Racémique versus énantiopure

Une molécule dite « racémique » présente une proportion d’énantiomères égale à 50% de chaque. Au contraire, une molécule dite « énantiopure » possède 100% d’un seul de ses énantiomères. Dans les années 1980, le professeur Henri Kagan a formulé une hypothèse : contrairement à ce que l’on pourrait attendre intuitivement, un catalyseur ne reproduirait pas de manière linéaire sa chiralité dans les produits générés. Dans un cas particulier, l’effet « hyperpositif », un catalyseur presque racémique produirait un composé proche de l’énantiopure alors que ce même catalyseur sous sa forme énantiopure donnerait naissance à un composé plutôt racémique. L’hypothèse n’avait cependant jamais été vérifiée expérimentalement. Jusqu’à la découverte de l’équipe de l’IPCMS.

« Avec Yannick Geiger, le doctorant ayant travaillé sur le sujet, nous avons observé le premier effet hyperpositif. Nous avons pu prouver l’hypothèse d’Henri Kagan, qui était juste, mais qui s’appuie sur un modèle qui ne s’applique pas à notre propre système catalytique », s’enthousiasme Stéphane Bellemin-Laponnaz. Trouver la clé de cette énigme vieille de trente ans a valu à l’équipe une publication dans la revue Nature Catalysis. Ce travail a également été récompensé par le prix de thèse national « Henri Kagan 2020 » de la Société chimique de France,  remis à Yannick Geiger. Les chercheurs se consacrent désormais à l’obtention d’un modèle mathématique qui leur permettra d’analyser d’autres expériences similaires.

Léa Fizzala

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