Depuis une cinquantaine d’années, de nombreuses grammaires d’ancien français sont éditées. Parmi elles, celle de Claude Buridant propose une approche renouvelée de cette langue pratiquée du 8e au 14e siècle. Après une première édition parue en 2000, l’ancien directeur du Centre de linguistique romane de Strasbourg, propose une nouvelle édition agrémentée de chapitres supplémentaires et d’un corpus plus fourni.
04/05/2020
« C’est sur la sollicitation de Michel Zink, devenu professeur au Collège de France, que je me suis attelé à une grammaire d’ancien français », se souvient Claude Buridant. Nous sommes dans les années 90 et les technologies numériques actuelles n’existent pas encore. Le chercheur, de l’unité de recherche Linguistique, langues, Parole (LiLPa), se met alors à l’ouvrage en dépouillant des milliers de textes. La plume à la main, il constitue une énorme documentation sous forme de fiches classées dans des boîtes à chaussures. Dix ans plus tard, une première édition, intitulée Grammaire Nouvelle de l’Ancien Français, voit le jour. Forte de 800 pages, « cette grammaire renouvelle l’approche de l’ancien français par un appareil théorique élaboré. »
Diversifier les sources
Si l’ouvrage est généralement bien accueilli par la communauté des médiévistes, sa diffusion commerciale est interrompue en 2010. Les années passent et Claude Buridant souhaite retenter l’aventure, en proposant une nouvelle édition élargie, sous la direction de son collègue Martin-Dietrich Glessgen. Entre temps, les outils numériques se sont développés et le chercheur dispose désormais de bases de données en ligne comme Frantext ou la base de Français médiéval. « C’est en exploitant ces données et en tenant compte de la profusion des recherches les plus récentes, que j’ai remis en chantier mon ancienne grammaire... qui n’était plus nouvelle », sourit Claude Buridant.
Le médiéviste fournit un imposant éventail d’exemples tous traduits en français moderne, extraits de textes littéraires mais pas uniquement : « Aux 12e et 13e siècles, la plupart sont en octosyllabes ce qui fausse un peu la perspective. C’est comme si nous utilisions des poèmes de Victor Hugo ou des textes de Chateaubriand pour réaliser nos grammaires… C’est pourquoi, j’ai décidé de diversifier mes sources en utilisant des textes documentaires et notamment juridiques, qui ne se préoccupent pas de stylistique. »
Les milliers de fiches engrangées mises en ligne
La Grammaire du français médiéval (11e-14e siècle), nouvelle édition revue, corrigée et amplifiée de 1 273 pages, paraît en décembre 2019 aux éditions ELIPHI – Strasbourg, soutenue par l’Université de Strasbourg et l’équipe de rattachement LiLPa. « J’y ai intégré de nouvelles entrées notamment sur la graphématique, soit la théorie et la pratique de la mise par écrit des textes médiévaux. À la fin, un chapitre ouvre des perspectives sur l’évolution du français par rapport aux autres langues romanes. »
Pour naviguer dans cet univers bien fourni, le chercheur propose différentes clés d’accès : une table des matières d’une vingtaine de pages, sans oublier deux index – grammatical et terminologique – et une bibliographie des textes de référence et des études de linguistique. Côté projets, Claude Buridant est en train de mettre en ligne, sur son site Buridantesque, les milliers de fiches engrangées durant ses recherches. Une documentation qui vient en complément de sa grammaire et permettra de développer certains chapitres en donnant des exemples supplémentaires.
Marion Riegert
Ancien français, français moderne, quelle différence ?
Good to know
Une difficulté majeure de l’ancien français réside dans son oralité marquée par une variation permanente, qui n’est pas figée à l’écrit. La grande différence avec le français moderne réside notamment dans l’ordre des mots. Le verbe se situe généralement en seconde position derrière toute une gamme possible d’éléments, compléments, adverbe, sujet… la première place n’étant pas réservée qu’au pronom personnel, comme en témoigne l’exemple : Tot oï li dus a l’entree (De la cambre si pres estoit), comprenez : le duc a tout entendu tout proche qu’il était à l’entrée de la chambre (vv. 418-19 de la célèbre Chastelaine de Vergi, éd. René E.-V. Stuip, The Hague-Paris, Mouton, 1970). D’un manuscrit à l’autre des changements sont ainsi constants. « À l’époque, il n’y avait pas non plus de règles d’orthographe, les normes étaient souples, variant selon les copistes. » Un verbe comme vouloir, à la première personne du singulier de l’indicatif, peut avoir une petite vingtaine de graphies différentes, consignées dans l’Anglo-Norman Dictionary, un des dictionnaires majeurs de notre ancienne langue. « Une langue à la chatoyance d’une richesse infinie, que nulle grammaire ne saurait épuiser, tant il est vrai, en l’occurrence, que Grammaticae est non omnia dicere ! »*
*La grammaire ne peut tout dire.