« CRISPR/Cas9, c’est le passage du téléphone portable au SmartPhone »

13/10/16

À la une Vie et santé 

Annoncé comme une révolution, CRISPR/Cas9, nouvel outil de génie génétique, permet de modifier le génome plus facilement que jamais, suscitant espoirs et craintes. Pour Bernardo Reina-San-Martin, chercheur à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire qui utilise cette technique depuis 3 ans, CRISPR/Cas9 a changé la manière de faire de la science. Gaëlle le Dref, doctorante en épistémologie à l’Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie, porte un regard plus nuancé sur le caractère révolutionnaire de cet outil. Points de vue croisés sur cette avancée scientifique.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est CRISPR/Cas9 ? Bernardo Reina-San-Martin : Dans la nature, CRISPR/Cas9 est un système d’immunité adaptative utilisé par certaines bactéries pour se défendre contre l'infection par des virus (bactériophages). Il y a plusieurs types de système CRISPR, mais le plus simple est le type II, qui est composé de deux petits ARN non codants qui guident la protéine appelée Cas9 à l'ADN viral. La protéine Cas9 coupe alors la double hélice de l’ADN ciblé, détruisant ainsi le virus et empêchant l'infection. C'est ce système qui a été utilisé pour créer un outil d'édition du génome. Comment ce système de défense bactérien est-il devenu un outil de réécriture du génome ? B.R.S.M. : En 2012, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont identifié le deuxième de ces petits ARN et ont apporté la preuve définitive que les seuls éléments nécessaires et suffisants pour que le système CRISPR de type II fonctionne sont ces deux fragments d’ARN et la protéine Cas9. Elles ont également simplifié le système en montrant que ces deux petits ARN pouvaient être fusionnés en une seule molécule chimérique (ARN guide) et qu’il était possible de manipuler la séquence de l'ARN guide de manière à diriger Cas9 à un endroit choisi du génome. A partir de là, l’équipe du MIT de Feng Zhang a adapté ce système pour pouvoir l’utiliser au sein de cellules eucaryotes, en particulier sur des cellules de mammifères. CRISPR/Cas9 est ainsi devenu un outil permettant de modifier le génome d’une multitude d’organismes. A ce jour, plus de 4 000 articles scientifiques relatifs à cette technologie ont été publiés. Son potentiel d’applications – que ce soit en recherche fondamentale, en biotechnologie ou en médecine personnalisée – est immense.     Cet outil est-il aussi révolutionnaire qu’on le dit ? Gaëlle Le Dref : En sciences humaines et sociales, une révolution technique implique un changement de nature des procédés employés et pas seulement une amélioration de ceux-ci. Du point de vue de l’histoire des sciences, CRISPR/Cas9 n’apparait donc pas aujourd’hui comme révolutionnaire. La révolution, c’est les années 1970 quand on parvient pour la première fois à couper l’ADN et à transférer du matériel génétique d’un organisme à un autre au moyen de la recombinaison homologue. Après, c’est de l’amélioration. Toutefois, à partir d’un certain taux d’améliorations, ne peut-on pas parler de révolution malgré tout ? C’est une question qui se pose fréquemment en épistémologie. B.R.S.M. : CRISPR/Cas9, pour les chercheurs qui l’utilisent au quotidien, c’est le passage du téléphone portable au SmartPhone. Pour étudier la fonction d’un gène, une première approche est de choisir un modèle animal (ou cellulaire) et de modifier son génome pour inactiver le gène ciblé (knockout) ou le modifier (knockin).  Avant CRISPR/Cas9, pour obtenir des souris knockout/knockin on utilisait la technique de recombinaison homologue dans des cellules souches embryonnaires. Avec ce procédé, on pouvait espérer obtenir une souris knockout/knockin au bout de 2 ans.  Il fallait donc prendre son mal en patience avant de pouvoir étudier la fonction d’un gène. Désormais, il suffit d’injecter la protéine Cas9 avec un ARN guide dans un embryon au stade une cellule pour obtenir des individus knockout à la première génération. On est passé de 2 voire 3 ans à 4 mois. Ça, c’est quand même révolutionnaire ! CRISPR/Cas9 a changé la façon dont on fait de la science. En avril 2015, des chercheurs chinois ont utilisé CRISPR/Cas9 pour modifier le génome d’embryons humains non viables. En février 2016, le Royaume-Uni a autorisé à son tour la modification de gènes d’embryons humains à l’aide de CRISPR à des fins de recherche fondamentale. N’y-a-t-il pas un risque de dérives ? Quelles questions éthiques pose cet outil ? G.L.D. : Jacques Testart, l’un des pères du premier bébé éprouvette français en 1982, a abandonné la recherche fondamentale en biologie parce qu’il pensait que les applications de la fécondation in vitro pouvaient être catastrophiques sur le plan éthique. On lui rétorquait que ses inquiétudes, en particulier en ce qui concernait un eugénisme de masse par sélection et amélioration, relevaient de la science-fiction… La thérapie génique a été un échec jusqu’à maintenant. Dans le fond, les questions éthiques ne se posaient pas vraiment jusqu’ici, sauf en termes d’eugénisme négatif avec le diagnostic préimplantatoire. Ces questions, qui restaient jusque-là relativement abstraites, se posent désormais en termes plus concrets. CRISPR/Cas9 pourrait donner du poids à certains mouvements idéologiques tels que le transhumanisme qui appelle au dépassement de l’homme par l’homme grâce aux technologies. Il va falloir poser des limites claires entre ce qui est de l’ordre du thérapeutique et ce qui relève de l’amélioration. La première conférence de bioéthique portant sur les risques liés aux organismes transgéniques, la conférence d’Asilomar, date quant à elle de 1975. Ces questions éthiques ne sont donc pas nouvelles. Aujourd’hui, elles sont simplement renouvelées et, d’une certaine façon, rendues plus pressantes par la puissance de l’outil. Recueilli par Ronan Rousseau    

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