Nobel de chimie 2016 : quand les molécules se font machines

13/10/16

Sciences et technologie À la une 

Le saviez-vous ? Les plus petites machines du monde sont invisibles à l’œil nu. Appelées machines moléculaires, elles sont de taille nanométrique. La première a vu le jour ici, à Strasbourg, dans le Laboratoire de chimie organo-minérale de Jean-Pierre Sauvage. Ses travaux pionniers dans le domaine de la machinerie moléculaire lui ont valu le prix Nobel de chimie 2016, partagé avec l’Ecossais James Fraser Stoddart et le Néerlandais Bernard Feringa. Décryptage scientifique.
Imaginez un piston qui se déplace dans un cylindre, un rotor qui tourne, un muscle qui se contracte… Tels sont les mouvements que peuvent reproduire les machines moléculaires à une échelle mille fois plus petite que l’épaisseur d’un cheveu.  Ces machines de l’infime sont constituées de molécules capables de mouvements contrôlés.  « Elles se comportent comme des moteurs », résume Jean-Pierre Sauvage. La conception de tels assemblages artificiels représentait, il y a une vingtaine d’années, un domaine chimique entièrement nouveau. L’histoire de ces machines moléculaires débute lorsque Jean-Pierre Sauvage et son équipe commencent à s’intéresser aux caténanes, une famille de molécules constituées d’anneaux entrelacés. Son représentant le plus simple a beau être constitué de seulement deux anneaux, rares étaient les chimistes à se frotter à sa synthèse, jugée quasi impossible. « Au début des années 1980, les caténanes étaient considérés comme des molécules complètement exotiques, raconte Jean-Pierre Sauvage. Elles avaient sans doute déjà été fabriquées mais au prix de stratégies extrêmement complexes qui les rendaient difficilement accessibles. » Ces molécules restaient ainsi de vagues objets de curiosité pour les chimistes.

La synthèse de caténanes, premier pas vers les machines moléculaires

Comme souvent, le cours de la science suit des méandres qui recèlent parfois des découvertes inattendues. A l’époque, Jean-Pierre Sauvage s’intéressait à la photochimie solaire. Avec son équipe, ils tentaient de développer des molécules capables de convertir l’énergie solaire en énergie chimique. « Parmi celles que nous avions fabriquées et étudiées, une nous semblait, par sa forme, le précurseur idéal pour synthétiser un caténane. » Suivant son intuition, Jean-Pierre Sauvage change complètement de domaine. Avec succès ! En 1983, lui et ses collaborateurs dont Christiane Dietrich-Buchecker, « une organicienne fantastique », parviennent à synthétiser des caténanes à l’échelle de quelques centaines de milligrammes. Dans les années qui suivent, fort de ce savoir-faire, l’équipe de Jean-Pierre Sauvage et, dans son sillage, celle de Fraser Stoddart forgent des molécules de plus en plus sophistiquées. 

Apprendre à contrôler les molécules

 « Contrairement aux molécules classiques de la chimie organique, les anneaux des caténanes et des rotaxanes – des molécules très proches – constituent des éléments parfaits pour réaliser des mouvements moléculaires, explique le chercheur nobélisé. Les anneaux peuvent tourner les uns par rapport aux autres ou se déplacer sur un axe. » Pour créer des machines moléculaires, les chimistes devaient toutefois surmonter un défi scientifique de taille : apprendre à parler aux molécules. En d’autres termes, leur envoyer un signal (en fait, un apport d’énergie) en espérant – et en démontrant – qu’il provoque un mouvement contrôlé.  Jean-Pierre Sauvage et son équipe y parviennent pour la première fois en 1994 sur un caténane. « Nous avons fondé le mouvement sur des transferts d’électrons. Au cœur de la molécule, il y avait un atome de cuivre qui nous permettait, en arrachant ou en ajoutant un électron, de faire tourner l’anneau dans un sens ou dans l’autre. » La première machine moléculaire artificielle étaient née !

Des nanomachines prometteuses

Depuis, le domaine a pris beaucoup d’ampleur. « Des dizaines de laboratoires ont créé des machines moléculaires parfaitement bien contrôlées, observe Jean-Pierre Sauvage. La période de création de machines simples est terminée. Maintenant, l’enjeu est de leur trouver des fonctions. » Les applications envisagées touchent des domaines variés : la nanomédecine pour le transport ciblé de médicaments, l’informatique pour le stockage d’information moléculaire ou encore la robotique. « On pourrait articuler des robots millimétriques voire même micrométriques à l’aide de moteurs moléculaires », imagine Jean-Pierre Sauvage en guise d’exemple. « Mais attention, prévient-il.  C’est de la science-fiction ! » Pour combien de temps ? Ronan Rousseau A lire aussi:

Réseaux et partenaires de l'Université de Strasbourg

Logo Établissement associé de l'Université de Strasbourg
Logo de la Fondation Université de Strasbourg
Logo du programme France 2030
Logo du CNRS
Logo de l'Inserm Grand Est
Logo du programme HRS4R
Logo du réseau Udice
Logo de la Ligue européenne des universités de recherche (LERU)
Logo de EUCOR, Le Campus européen
Logo du réseau Epicur