Dans nos sociétés occidentales, le changement climatique s’entend en termes scientifiques et chiffrés. En cause : le CO2 rejeté en masse par l’homme qui réchauffe notre atmosphère… Mais qu’en est-il des communautés au mode de vie très différents de nos sociétés occidentales ? Le perçoivent-ils et si oui, comment ? C’est à ces questions que s’est intéressé Geremia Cometti, maître de conférences en ethnologie à la faculté des Sciences sociales. Il est allé rencontrer les Q’eros, une communauté de quelque 3000 âmes disséminée dans les hauteurs des Andes péruviennes.
14/12/2017
L’industrie touristique les présente volontiers comme les derniers représentants des Incas. Les Q’eros vivent dans les montagnes péruviennes des Andes, à une altitude comprise entre 2000 et 5000 mètres, souvent dans des maisons rustiques faites de pierres et de paille, sans électricité. Depuis Cuzco, cette communauté est accessible après cinq heures de route et plusieurs heures de marche à travers de nombreux cols.
Geremia Cometti commence à les côtoyer en 2011 dans le cadre de sa thèse. Il s’intéresse alors aux migrants du changement climatique. « La perte des glaciers atteint jusqu’à 50% dans les deux cordillères principales du Pérou, en particulier dans la région de Cuzco, explique l’anthropologue. Le Pérou est donc en première ligne du changement climatique, d’autant plus qu’il est souvent touché par le phénomène El niño. » Les Q’eros font ainsi face à une modification des températures et du régime des pluies qui compromettent leur capacité à cultiver la terre et élever leur bétail.
La réciprocité, clé de voûte des populations andines
Parti pour étudier comment le changement climatique affecte la vie des Q’eros, Geremia Cometti change très vite son angle d’étude pour s’intéresser à leur interprétation du changement climatique. « Car je me suis aperçu du rapport très particulier que les Q’eros entretiennent avec la nature. Dans l’univers Q’eros, les différentes entités vivent en fonction d’une hiérarchie fixée selon l’importance relative attribuée aux membres qui la constituent. Les Apu (esprits des montagnes) et la Pachamama (terre nourricière) dominent cette hiérarchie, suivis par les êtres humains, puis par les alpagas et les lamas. Les ancêtres y occupent aussi une place importante. » Les Apu et la Pachamama transfèrent un flux de vitalité vers les animaux et les autres entités et assurent la fertilité des terres ainsi qu’une bonne santé. Dans un souci de réciprocité, les Q’eros réalisent différentes cérémonies « pour restituer ce flux vital qui circule et maintenir un équilibre général entre les entités humaines et non humaines. »
Un sentiment de culpabilité
A travers son travail de terrain, Geremia Cometti réalise que les Q’eros perçoivent bel et bien le réchauffement climatique, bien qu’ils ne le mesurent pas de façon chiffrée, et découvre même que beaucoup éprouvent un sentiment de culpabilité à l’égard des changements en cours. « C’est l’abandon partiel de différents rituels destinés aux divinités ou leur marchandisation touristique qui constitue la cause, selon les spécialistes rituels Q’eros, d’une dégradation de l’état de santé des habitants, des animaux et de la fertilité des terres », explique le chercheur.
Le changement climatique pourra-t-il, à terme, contraindre les Q'eros à abandonner leur mode de vie ? « Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question, surtout que dans mon travail, d’une manière un peu provocatrice, j’ai essayé de montrer le contraire… Pour eux, c’est le changement de leur mode de vie qui précède et explique en quelque sorte le changement climatique. »
Ronan Rousseau
- Pour en savoir plus : ‘Lorsque le brouillard a cessé de nous écouter’ Changement climatique et migrations chez les Q’eros des Andes péruviennes, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien : Peter Lang. 244 p.