Directrice de recherche émérite au CNRS au sein de l’unité mixte de recherche Biotechnologie et signalisation cellulaire, Sylviane Muller vient d’être nommée à l’Académie européenne des sciences dans la section Medicine and Life Sciences. Une distinction que la chercheuse en immunologie qui aime sortir des sentiers battus prend avec humilité, animée par un seul désir scientifique : « celui de comprendre ».
25/02/2020
A 67 ans, Sylviane Muller n’a rien perdu de son enthousiasme pour la recherche. « Je m’investis toujours beaucoup et avec passion », glisse l’immunologiste qui vient d’être nommée à l’Académie européenne des sciences. « J’ai reçu un courrier pour m’en informer en janvier, il y siège des gens éminents du monde entier et je me demande ce que je fais parmi eux », sourit la chercheuse qui remercie ceux qui ont voté pour elle. « J’ai une éthique personnelle, celle de ne jamais postuler pour un prix. Ça me procure de bonnes surprises d’apprendre une reconnaissance, comme lorsque j’ai reçu la Légion d’honneur. »
Lorsqu’on l’interroge sur son parcours elle a coutume de répondre qu’elle n’a pas son bac. « Depuis toute petite je voulais porter une blouse blanche et travailler dans un laboratoire tout blanc mais je n’avais pas prévu qu’un jour je me retrouverai à développer un médicament. » Sylviane Muller compare son cheminement, rythmé par la chance et les opportunités, à une pelote de laine : « un petit fil dépasse, parfois on le tire et ça peut tout changer. »
Une molécule-médicament
Depuis quelques années, la chercheuse travaille avec une équipe de 5-6 personnes sur une molécule-médicament appelée P140 pour traiter les patients atteints du lupus. « Au début c’était un sujet très fondamental. » De fil en aiguille, une rencontre avec Robert Zimmer, PDG d’ImmuPharma-France, lui permet de passer aux essais cliniques chez des patients. « Actuellement, le P140 est en phase III des essais. De mon côté, avec ma petite équipe, je poursuis mes recherches, nous essayons d’exploiter cette molécule dans d’autres maladies auto-immunes proches du lupus et des pathologies chroniques inflammatoires. »
Animée par le désir de « comprendre », Sylviane Muller n’a pas d’autre passion que sa recherche. « Même en vacances, j’ai toujours des documents à lire et écrire dans ma valise », souligne cette maman de deux enfants et grand-mère de trois petits-enfants qui a toujours habité près de son laboratoire pour être plus proche… Ce qu’elle apprécie par-dessus tout ? « Avoir une page vide. J’écris un titre, je pose tous les résultats, parfois de deux ans de recherche, autour de mon ordinateur et je déroule l’histoire, je la rends logique, c’est le bonheur. »
« L’esprit potache….»
De ses années passées en laboratoire la chercheuse retient un changement. « A mes débuts, dans les labos, chercheurs et étudiants faisaient des blagues pendables, il y avait un esprit potache. Il y en a qui avaient monté la petite voiture d’une maitresse de conférence sur le toit de l’Institut via un monte-charge. » Pour elle, la sélectivité accrue des concours a marqué le développement d’une forme de compétition anxiogène. « Aujourd’hui, les jeunes sont plus pessimistes, plus angoissés », remarque Sylviane Muller qui a placardé sa devise préférée dans son bureau : « Productivity and well-being are not mutually exclusive ! »*
Son maître-mot : être créatif pour sortir des sentiers battus. « Il faut « délirer », casser les carcans. Si vous faites « as usual » ça ne sert à rien. Qu’est-ce qu’on risque ? Si ça n’aboutit pas, ce n’est pas désastre. C’est comme un peintre devant sa toile, il fait des essais », détaille la chercheuse qui anticipe toujours le futur « proche ! ». « Tant que je pourrai apporter un renfort stratégique aux gens qui m’entourent, je serai à leur côté. Le privilège de l’âge, c’est peut-être de savoir mieux rassembler et prendre un recul salutaire. » Sa nomination lui donne accès à des réunions annuelles, l'immunologiste pourra également s’insérer dans un groupe de travail. « Ça m’intéresse de pouvoir confronter des idées. »
Marion Riegert
* La productivité et le bien-être ne sont pas mutuellement exclusifs.
Près de 50 ans de carrière
Good to know
Après un brevet de technicien, Sylviane Muller obtient son BTS en analyses biologiques en 1973. Le 23 mai, elle rejoint le laboratoire universitaire de bactériologie rue Koeberlé. Là, un collègue lui conseille de reprendre ses études. « A l’époque je ne savais même pas où se trouvait l’université. » Sylviane Muller obtient un DEUG par équivalence de son BTS, puis poursuit par une licence-maîtrise en biochimie option microbiologie-virologie-génétique. Le professeur Léon Hirth la repère et lui propose de réaliser son DEA (équivalent du Master 2) avec lui. Ses études se poursuivent par une thèse en virologie des plantes. Un post-doctorat à l’Institut Max-Planck de Freiburg en Allemagne l’amène à réaliser un virage à 180 degrés et à se tourner vers l’immunologie. Au bout de deux ans, en 1981, elle réussit le concours CNRS et revient en poste à Strasbourg poser ses valises dans le laboratoire d’immunochimie du professeur Marc Van Regenmortel à l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) où elle soutiendra sa thèse d’Etat ès Sciences.
De 2001 à 2017, elle dirige le laboratoire d'immunologie et chimie thérapeutiques du CNRS à l’IBMC dont elle assume les fonctions de directrice de 2016 à 2017. Depuis 2011, Sylviane Muller est directrice du laboratoire d’excellence Centre de recherche du médicament Medalis. Directrice de recherche de classe exceptionnelle jusqu’en août 2018, elle occupe également la chaire permanente d'immunologie thérapeutique de l’institut d’études avancées de l’Université de Strasbourg (USIAS). Son champ d'expertise couvre l'auto-immunité, l’exploitation d’immuno-peptides et les vaccins synthétiques.