Il n'est pas toujours facile d'expliquer pourquoi des chercheurs passent leurs temps à étudier certains sujets. En arts, c'est souvent plus difficile encore, car contrairement aux sciences "dures", au droit ou aux sciences sociales, ces travaux de ne mènent pas toujours à des applications concrètes
Ils enrichissent pourtant une forme de recherche fondamentale, et s'emparent d’œuvres pour mieux comprendre les conditions de leur réalisation ou de leur interprétation. En arts visuels, en spectacle vivant, en cinéma, en musique, en danse ou en arts plastiques, ils sont une centaine à mener leurs recherches à l'Unistra, dans l'équipe d'accueil que dirige Daniel Payot. Entretien.
Daniel Payot, vous êtes directeur de l’équipe d’accueil Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (Accra). Il s’agit d’un laboratoire très pluridisciplinaire.
C’est en effet un laboratoire qui intègre des arts très différenciés. Il compte une trentaine d’enseignants-chercheurs et une quinzaine de jeunes chercheurs rattachés à l’unité de recherche. Nous avons aussi 60 doctorants répartis dans tous les domaines, dans lesquels on peut distinguer trois sous-ensembles : les arts visuels (arts plastiques, design), les arts du spectacle (théâtre, cinéma, danse), ainsi que la musique et la musicologie, avec un Laboratoire d’Excellence : le Gream (Groupe de recherches expérimentales sur l’acte musical).
Comment pourriez-vous résumer les axes de recherche en arts dans votre équipe d’accueil ?
Même si les axes de recherche diffèrent d’une équipe à l’autre, notre approche pourrait se résumer à trois dimensions : historique, poïétique et herméneutique.
La dimension historique consiste à aller chercher des œuvres à leur source pour en comprendre le sens. C’est par exemple le cas du travail de Claire Audhuy sur le théâtre dans les camps de concentration. En musique, cela peut consister à retrouver des partitions ou à établir des rapprochements entre œuvres différentes.
La dimension poïétique, chère en particulier aux plasticiens, concerne l’acte même de création : c’est « le faire » de la production. Elle s’intéresse à ce qui se passe concrètement dans l’atelier de l’artiste.
Enfin, la dimension herméneutique concerne l’interprétation des œuvres. On travaille sur des modes de réception et de compréhension très différents d’une œuvre ou d’un courant artistique. Qu’il s’agisse de productions contemporaines ou plus anciennes historiquement.
Cela dit, l’expertise du laboratoire réside surtout dans les œuvres contemporaines.
Oui. Au moment de sa création au début des années 2000, l’équipe s’est définie autour de ce terme : approches contemporaines. Comment arriver à penser des productions artistiques récentes ? C’est aussi parfois la lecture d’une œuvre historiquement datée qui est contemporaine et qui nous intéresse. Nous avons donc le souci de comprendre ce qui se passe dans le domaine artistique, à la fois du côté des productions elles-mêmes et de l’interprétation de ces productions.
Pourquoi est-ce important ? Quel est le sens de cette recherche en arts ?
L’art fait partie des productions symboliques de l’humanité. Mais cette production est très différente selon les lieux et les époques. On est d’emblée confrontés à des questions de société : l’art est significatif d’une société, de son histoire, des rapports entre les gens, etc. Certaines réalisations artistiques du XXe siècle sont impensables au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Avec l’art, on est tout de suite dans l’interdisciplinarité : il ne s’agit pas de faire de l’art quelque chose de purement autonome. Il s’agit au contraire de s’en emparer comme d’un objet significatif. À la fois dans sa forme même (l’utilisation de tel ou tel matériau, par exemple) et par la place qu’il occupe dans une société donnée.
En France, l’Université de Strasbourg est connue notamment pour son expertise dans la recherche en musicologie ? Est-ce lié au fait du laboratoire d’excellence GREAM ?
Oui, certainement. Cela vient aussi de façon générale de la situation de Strasbourg : la musique bénéficie de la proximité de l’Allemagne, de façon très créative. Nous sommes en lien avec des Musik-Hochschule et d’autres institutions de ce type en Allemagne. Ce dynamisme musical s’exprime aussi à Strasbourg même, avec une importante convention entre l’Université et le Conservatoire. Il est vrai que ce dynamisme a une influence importante dans le rayonnement de l’Unistra.