Depuis cinq ans, quatre modules de tests permettent aux macaques de Tonkean de s’exercer à différentes tâches selon leur bon vouloir. Une manière ludique pour Hélène Meunier et Sébastien Ballesta, chercheurs au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives (LNCA), de recueillir différentes données, notamment sur leur perception du groupe ou leur mémoire.
Vendredi, il est 10h30, Lady, un des 30 macaques de Tonkean du centre, gravit l’échelle métallique qui lui permet d’entrer dans un des quatre modules de tests. Grâce à un système de puce électronique, l’ordinateur reconnait l’animal, un exercice se lance. Objectif ce jour-là : tester son aptitude à reconnaître la hiérarchie de dominance de ses congénères en cliquant, parmi deux photos, sur celle du dominant dans la paire proposée. Les doigts de Lady s’avancent vers l’écran tactile pour cliquer sur les images avec, à chaque succès, une récompense, un peu de sirop fortement dilué sortant d’un biberon positionné face à l’écran.
« Cela nous permet de croiser les données obtenues avec celles que nous avons collectées par observations directes des singes dans leur parc, et de voir si les places qu’ils attribuent à leurs congénères sont les mêmes que celles que nous avons observées », souligne Hélène Meunier, responsable de la recherche scientifique au Centre de primatologie, et ingénieure de recherche au LNCA, qui a imaginé et programmé avec son collègue Sébastien Ballesta huit types de tâches, notamment pour tester la mémoire des primates ou encore leur capacité de prise de décision économique.
Des conditions uniques en Europe
Une petite révolution dans l’étude des comportements des singes avec des conditions uniques en Europe. « Ces modules nous permettent de récolter des millions de données de manière automatisée, que nous pouvons ensuite analyser grâce à différents algorithmes », poursuit la chercheuse qui les a mis en place il y a cinq ans, après quatre années de développement.
Les chercheurs n’étant pas présents lors des tests, l’outil permet d’éviter certains biais dans les observations. « Les plateformes sont en libre accès, les singes peuvent s’y rendre quand ils le souhaitent pour réaliser ces tâches randomisées dont la difficulté évolue en fonction du niveau du primate. Certains font plus de trois heures de tests par jours, d’autres y vont moins, voire jamais à l’image d’Ulysse, mâle alpha du groupe », détaille Hélène Meunier qui, grâce à des caméras, peut surveiller ses petits protégés partout où elle va.
Remonter le fil de l’évolution
Autre avantage : mener des études sur le long terme. « Sans les modules, ces différentes tâches n’auraient pas été présentées aux singes pendant aussi longtemps, nous aurions pu rater des informations essentielles car pour certains individus, l’apprentissage peut prendre des années. »
Fort de ce succès, trois nouveaux modules de tests ont été installés chez les deux autres espèces de macaques qu’héberge le Centre. D’autres sont prévus pour les capucins. « L’occasion de proposer une étude comparative inédite entre les espèces et de remonter le fil de l’évolution », précise Hélène Meunier. Certaines des données récoltées au Centre nourrissent également des consortiums internationaux, à l’instar de Many Primates, dont l’objectif est d’établir une véritable culture de la collaboration scientifique dans le cadre des études sur les primates en sciences cognitives.
Zoé Fournier et Marion Riegert
- Pour aller plus loin sur les travaux d'Hélène Meunier, lire aussi "Comment les macaques perçoivent-ils leur univers social ?" et "Des singes et des hommes".
En chiffres
Plus d'informations
- 3h30, c’est le temps moyen par jour d’utilisation de chaque module du Centre pour 4 500 essais par jour effectués en moyenne.
- 9 sessions de travail sont ouvertes par chaque singe pour 250 essais effectués sur l’ensemble des 6 modules du Centre.
- Les 2/3 de ces essais sont corrects, correspondant à un volume total d’environ 150 mL de sirop dilué en récompense.
- Jusqu’à 1,5 million de données sont récoltées chaque année grâce à la plateforme pour un total de 9,5 millions d’essais depuis sa mise en place.
- Plus de 885 000 essais en presque 6 ans soit le record du nombre d’essais effectués détenu par Alaryc, un macaque de Tonkean de 8 ans. Alvin, un autre mâle de 8 ans, détient le record du nombre d’essais maximal en une seule journée avec 4 041 essais le 30 mai 2020. Ficelle, une jeune femelle de 4 ans, détient pour sa part le record du pourcentage d’essais corrects avec 81%.